LES CRISES À L’ÂGE ADULTE
Par Laurence Lavallée, M.Sc. Psychoéducatrice
De nombreux auteurs se sont intéressés au concept de crise dans les dernières décennies, particulièrement dans les années 80. Initialement associée à l’enfance, la crise développementale est maintenant reconnue comme se produisant à travers la vie adulte également. En effet, tandis que la vie adulte était jadis considérée comme plutôt statique, il est maintenant largement reconnu que l’adulte est constamment en changement, en évolution. Il peut, dès lors, vivre des périodes de vulnérabilité, de doute et de remise en question.
La crise du mitan, aussi appelée la crise de la quarantaine, fait partie du langage courant. La crise de la trentaine fait également doucement son apparition. Mais, qu’en disent les écrits sur le sujet ? Le présent article de blogue vise à approfondir ce concept.
LES PHASES DE LA VIE ADULTE
Dans plusieurs sociétés, la 18e année de vie d’une personne marque son entrée dans ce qu’on appelle « la vie adulte ». Cette phase de la vie est beaucoup plus longue que les précédentes, soit la petite enfance, l’enfance et l’adolescence qui durent respectivement 6 ans. Plusieurs auteurs, dont Levinson, se sont intéressés à mieux comprendre cette période de la vie. Selon ce dernier, la vie adulte comporte trois saisons bien distinctes :
- 17 à 45 ans : le jeune adulte
- 40 à 65 ans : le mitan de la vie
- 60 ans et plus : la vieillesse
Ces saisons se subdivisent en cinq phases comprenant chacune leurs enjeux. Le découpage des temps de la vie en périodes de plus ou moins 5 ans est remis en question par plusieurs auteurs compte tenu des parcours très individuels de chaque individu. Ces balises permettant de se situer à travers le temps, il importe d’éviter de les considérer de manière rigide.
Jeune adulte
- 17 à 22 ans : transition de jeune adulte
- 22 à 28 ans : entrée dans le monde adulte
- 28 à 33 ans : transition de la trentaine
- 33 à 40 ans : période d’établissement
- 40 à 45 ans : transition de milieu de vie
Mitan de la vie
- 40 à 45 ans : transition du milieu de vie
- 45 à 50 ans : entrée dans le milieu de la vie
- 50 à 55 ans : transition de la cinquantaine
- 55 à 60 ans : point culminant de la vie adulte
- 60 à 65 ans : transition de la vieillesse
LES TRANSITIONS ET LES CRISES
À travers sa vie adulte, la personne rencontre différentes transitions, qui concordent généralement avec les tâches développementales auxquelles elle fait face (p.ex. s’unir à une partenaire, élaborer sa vie professionnelle). La transition implique une période de réflexion, d’analyse et d’évaluation qui compromet peu l’équilibre psychologique. L’adulte jouit d’un sens de direction et n’est pas envahi par la confusion.
Les transitions peuvent se dérouler sans grande difficulté. Or, pour certains, une crise peut être vécue. Une crise est généralement reconnue comme une rupture d’équilibre dans laquelle la personne ressent de la confusion et de l’incompréhension. Cette période trouble peut être accompagnée d’une perte de sens face à l’existence. L’adulte est en remise en question sans savoir vers où se diriger.
Tandis que la transition implique que l’adulte ait un sens de direction, la crise engendre une perte de sens et une grande confusion.
Afin de mieux comprendre le concept de crise, un aperçu des tâches développementales auxquelles l’adulte fait face paraît nécessaire.
Le jeune adulte
La saison du jeune adulte comprend des tâches développementales qui lui sont propres et qui sont à risque d’être modifiées dans le mitan de la vie :
- Construire un rêve de vie
- Avoir un mentor
- Élaborer sa vie professionnelle
- Investir dans une relation amoureuse, fonder une famille et trouver un style de vie
Elle comprend également trois transitions qui viennent bousculer l’équilibre de l’individu.
- Une première transition est vécue entre 17 et 22 ans. À travers cette dernière, le jeune adulte se sépare de ses figures parentales et crée son propre réseau de relations interpersonnelles. Il doit mettre fin à sa vie adolescente pour tranquillement faire ses pas dans le monde adulte.
- Une seconde transition fait son apparition entre 28 et 33 ans. L’adulte révise les choix effectués dans sa vingtaine et envisage le futur. Il évalue l’écart entre son rêve de vie et la réalité vécue. Cette transition peut être particulièrement douloureuse pour plusieurs adultes. La structure de vie est alors perçue comme intolérable. L’adulte est plongé dans une grande confusion. Il peut perdre le sens de son existence. C’est ce qu’on désigne par la crise de la trentaine.
- Une troisième transition se produit entre 40 et 45 ans. C’est à travers cette dernière que peut s’insérer la crise du mitan ou du milieu de vie. L’adulte revoit en profondeur sa structure de vie. Des changements majeurs dans sa vision de lui-même et de ses proches peuvent s’opérer. Des changements face aux implications sociales et professionnelles peuvent se révéler inévitables. L’adulte peut remettre en question tous les aspects de sa vie et avoir la conviction qu’il ne peut pas continuer comme il le faisait avant.
Pour Levinson, un grand paradoxe se présente dans le développement humain. En effet, ce dernier postule que la structure de la vie demande aux jeunes de faire des choix cruciaux bien avant d’avoir la connaissance, le jugement et la compréhension de soi nécessaires pour ce faire. Que l’on parle du travail ou du partenaire de vie, ces choix sont souvent imposés dans la vingtaine, ce qui ne serait pas cohérent avec le développement de l’adulte qui se pose davantage dans ses choix dans la trentaine.
Le mitan de la vie
La saison du mitan de la vie comprend quatre principales tâches développementales :
- Modifier/réajuster/abandonner son rêve de vie
- Devenir mentor
- Reconsidérer son travail
- Évaluer sa relation amoureuse ainsi que son style de vie.
Cette saison comprend également des transitions à travers lesquelles il porte un regard sur son passé et se projette dans le futur qu’il perçoit maintenant comme le temps qu’il lui reste.
- Une transition s’opère entre 50 et 55 ans. Cette transition ressemble en plusieurs points à la transition de la trentaine. L’adulte évalue la structure de vie mise en place pendant l’entrée dans le mitan. Les crises sont fréquentes à travers cette période, particulièrement chez les adultes qui ont fait peu de changements dans leur vie au cours des années précédentes.
- Une seconde transition se déroule entre 60 et 65 ans : cette période concorde avec la préparation de la retraite pour plusieurs. Elle met fin à la fin de la structure de vie du milieu de vie. L’adulte fait une évaluation en profondeur de son passé et se réorganise.
QU’EST-CE QUI PROVOQUE LA CRISE ?
Dans le langage courant, le concept de crise de la quarantaine, est bien connu. Il fait référence aux individus qui, à l’aube de leur quarantaine, se remettent en question quant à leurs projets, leur couple, leur emploi, etc. Tout peut faire objet d’une remise en question. Dans la littérature, la crise n’est pas un concept réservé à la quarantaine : elle peut se vivre à travers différentes périodes de la vie.
Selon Levinson, le fait d’avoir négligé des aspects importants de son cycle de vie pourrait contribuer à la survenue d’une crise. L’adulte en crise serait alors celui qui prend conscience qu’une partie importante de lui-même n’a pas eu suffisamment de place dans les dernières années. Il aurait tenté de se conformer ou aurait idéalisé certaines normes sociales, culturelles ou professionnelles, faisant en sorte qu’il aurait été peu connecté à certaines parties de lui-même. Elles crient alors d’exister, d’être actualisées. Des exemples :
- Une personne ayant fait des études en droit puisqu’il s’agit d’un domaine considéré comme plus « stable » que le design pourrait se retrouver en souffrance après plusieurs années de travail. Une partie d’elle-même, soit son besoin de créer, crie maintenant d’exister et contribue à remettre ses choix de vie en question.
Selon une étude de McGill (1980), un tiers des adultes se réfère à une seule dimension lorsque vient le temps de décrire leur identité (p.ex. je suis une mère, je suis sportif). Ces adultes se révèlent donc être vulnérables dans la mesure où cet aspect peut constamment être menacé. Par exemple :
- Une blessure grave peut menacer l’identité d’une personne qui se définit uniquement par le sport.
- Le départ des enfants de la maison peut menacer l’identité d’une femme qui se définit uniquement comme une mère.
La perte d’un aspect important de l’identité ou la prise de conscience que d’autres aspects ont trop longtemps été négligés peut propulser l’individu dans une grande remise en question, voire une crise, face à son existence.
Sur la base de ces connaissances, on peut conclure que se connaître, prendre le temps de vivre le moment présent en pleine conscience et se connecter à ce qui est réellement important pour soi représentent des facteurs de protection importants pour l’adulte. Ce sont d’ailleurs des thèmes centraux dans la thérapie d’acceptation et d’engagement.
UNE PISTE : LA THÉRAPIE D’ACCEPTATION ET D’ENGAGEMENT
Cette approche récente dans le domaine de la psychologie nous enseigne que la souffrance vécue peut être influencée par plusieurs facteurs, dont l’évitement de la douleur (p.ex. la fuite des émotions désagréables) et l’adoption de comportements ou d’actions rigides.
En effet, une faible connexion au moment présent peut être associée à un mode d’action, ou de fonctionnement, qualifié de « pilote automatique ». L’adulte agit une séquence d’actions apprises au fil du temps sans trop se remettre en question. Par exemple, aller travailler, faire les courses, mener les tâches quotidiennes à exécution, faire ses loisirs habituels. Or, l’être humain étant en constante évolution, ses besoins peuvent changer au fil du temps. Par exemple :
- Tandis que le fait d’être pris en charge et sécurisée par son conjoint répondait à ses besoins dans la trentaine, une femme peut avoir un besoin d’autonomisation et d’autodétermination dans la quarantaine. Un patron d’interactions s’étant installé entre les conjoints, ces derniers répètent des séquences d’actions rigides sans trop les remettre en question. La femme peut se retrouver frappée de plein fouet par son insatisfaction relative à la relation au moment d’une transition de vie.
Lorsqu’il fonctionne en mode pilote automatique, l’adulte prend peu le temps de se connecter à ses besoins et ses valeurs de même qu’à évaluer la cohérence de ses actions avec ces derniers.
Un parallèle entre ce mode de fonctionnement et les théories de la crise à l’âge adulte peut être effectué. Une faible connexion à ce qui est important pour lui dans l’ici-et-maintenant peut influencer la survenue d’une crise au moment des transitions de vie. L’adulte est frappé de plein fouet par les parties de lui-même auxquelles il n’a pas suffisamment donné de place dans les dernières années. Il peut également être dérouté par l’écart entre son quotidien vécu et son rêve de vie.
Vivre en pleine conscience de soi, de ses valeurs, de ses besoins et de ses envies peut donc contribuer à laisser la place à toutes les parties de soi et éviter de se conformer à des normes qui n’y correspondent pas.
RÉFÉRENCES
Artaud, G. (1982). La crise d’identité de l’adulte et ses incidences éducatives. Revue des sciences de l’éducation, 8(3), 463–480. https://doi.org/10.7202/900385ar
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Houde, R. (1999). Les temps de la vie : le développement psychosocial de l’adulte. Boucherville, Qc : Gaetan Morin Éditeur.
Levinson, D. (1978). The Season of a Man’s Life. New York, NY : Ballantine Books.
McGill, Michael, The 40 to 60 Year Old Male, New York: Simon and Schuster, 1980.
Ngo, T. L., et Dionne, F. (2018). Pleine conscience et relation d’aide. Théories et pratiques. Presses de l’Université Laval