UTILE, MAIS PAS SANS RISQUE

Par Laurence Lavallée, M.Sc. Psychoéducatrice

Les écrans font maintenant partie intégrante du quotidien de la plupart des gens. Leurs utilisations se multiplient à vitesse grand V : divertissement, loisir, communication, apprentissage, travail, activités de la vie quotidienne, etc. Les écrans sont même devenus nécessaires dans plusieurs domaines.

Utilisation utile, mais pas sans risque. Les recherches sur l’impact de l’utilisation des écrans se faisant de plus en plus nombreuses, il peut être difficile de s’y retrouver. Cet article vise donc à vulgariser les dernières données pour favoriser des prises de décision réfléchies quant à l’utilisation des écrans au quotidien.

ON Y ABORDERA :
 

  • L’utilisation des écrans
  • Les recommandations selon l’âge
  • Les risques
  • Des pistes d’action
  • Une pause pleine conscience
  • Du côté de la recherche

L’UTILISATION DES ÉCRANS

Des lignes directrices en évolution

La société canadienne de pédiatrie a émis, il y a quelques années, des balises de temps d’utilisation des écrans à respecter :

Aucun écran avant 2 ans

Maximum 1 heure par jour de 2 à 4 ans

Maximum 2 heures par jour pour les 5 ans et plus

Des études ont révélé que l’utilisation que font les jeunes des écrans dépassent ces recommandations :

15% des jeunes âgés de 2 à 5 ans respecteraient la limite de 1 heure par jour.

Les adolescents auraient une consommation moyenne de 19,65 heures par semaine.

Les adolescentes auraient une consommation moyenne de 16,68 heures par semaine.

75,3% des 12 à 17 ans ne respecteraient pas la limite de 2 heures par jour.

Les enfants de 2 ans et moins ne retirent aucun bénéfice des écrans. Ils apprennent dans leurs interactions avec d’autres humains.

Bien qu’il maintient les recommandations de temps avant 5 ans, le Ministère de la santé et des services sociaux ajoute d’autres éléments à considérer pour juger de l’utilisation des écrans par les 5 ans et plus :

Le type d’écran

La pertinence du contenu

Le contexte d’utilisation de l’écran

Les caractéristiques de la personne

LES RISQUES LIÉS À L’UTILISATION DES ÉCRANS

Des impacts multifactoriels

Une utilisation importante ou excessive des écrans comporte des risques pour la santé physique, psychosociale et développementale. Mais, qu’entend-t-on par utilisation excessive ou problématique ?

Il n’y a pas de consensus dans la littérature quant à l’utilisation problématique des écrans ou d’internet. Il s’agit d’un domaine de recherche en émergence. Plusieurs termes sont également confondus et parfois mal définis comme la cyberdépendance, la dépendance aux écrans ou l’hyperconnectivité. Un certain consensus émerge toutefois dans le fait que l’utilisation des écrans se situe sur un continuum. La cyberdépendance serait à l’extrémité de ce continuum et l’hyperconnectivité serait une utilisation moins sévère des écrans. Cette dernière correspond à une utilisation de 4 heures par jour à des fins de loisir.

Les risques liés à l’utilisation des écrans varient selon divers facteurs :

Les caractéristiques individuelles : âge, santé physique et mentale, capacité d’analyse et sens critique

Le contexte de l’utilisation : moment de la journée, simultanéité des activités

La fréquence et la durée d’utilisation

Le type d’écran : cellulaire, tablette, télévision, console de jeu

Le contenu : médias sociaux, musique, jeux vidéo de stratégie, jeux vidéo d’action, biens matériels

La nature de l’utilisation : clavardage, jeu, écoute d’émission

Les risques liés à l’utilisation des écrans sont nombreux et touchent plusieurs sphères du développement. Les principaux impacts négatifs seraient :

Une diminution des habiletés langagières

Une augmentation des risques liés à l’obésité

Des effets délétères sur le développement des fonctions exécutives

Une dépendance aux écrans

Des problèmes de vision

Des troubles du sommeil

Pour les enfants de 2 à 4 ans, plus le nombre d’heures quotidiennes d’écran est élevé, moins ils seraient outillés pour la rentrée scolaire et plus les difficultés sociales seraient élevées

Au-delà de ces risques, d’autres sont observés et diffèrent selon l’âge:

De 0 à 5 ans :

Mauvaises habitudes alimentaires

Diminution de la capacité à se contrôler

Troubles de l’attention

Entrave au développement cognitif

Diminution de la mémoire à court terme

Diminution des habiletés précoces en mathématiques et en lecture

Augmentation des risques d’isolement social, de victimisation

Fatigue, maux de tête

De 5 à 19 ans :

Troubles musculosquelettiques

Diminution des occasions d’apprentissage

Symptômes dépressifs

Difficulté de comportement

Baisse des résultats scolaires

Problèmes d’apprentissage

Anxiété lié à l’image corporelle

Effritement des liens familiaux

Augmentation de l’impulsivité

DES PISTES D’ACTION

Pour un usage sain des écrans

L’approche des 3 A est recommandée afin d’encadrer l’utilisation des écrans au sein de la famille au-delà de l’imposition d’un temps d’accès.

Accompagnement

Dans l’accompagnement, l’adulte ouvre le dialogue avec l’enfant. Il le questionne, l’informe et suscite des réflexions par rapport à la technologie. L’objectif est de favoriser la compréhension chez l’enfant de l’utilisation des technologies et leurs enjeux.

Une approche plus restrictive où des limites sont imposées sans que l’enfant en comprenne les fondements serait moins favorable.

Les 3 A:

  • Accompagnement
  • Alternance des activités
  • Autorégulation

Quelques lignes directrices :

Éviter d’exposer les enfants de 0 à 2 ans aux écrans.

Limiter à 1 heure par jour le temps d’écran des 2 à 4 ans.

Tenir compte des contenus et du contexte d’utilisation de même que des caractéristiques de l’enfant et sa famille afin de fixer un nombre d’heures d’écran pour les 5 à 18 ans.

Éviter les écrans une heure avant le coucher

Alternance des activités

Par l’alternance, l’adulte prépare, organise et accompagne le divertissement de l’enfant. Il s’assure que l’enfant bénéficie d’une variété d’activités de divertissement et de loisirs.

Pistes d’actions pour l’alternance des activités :

Encourager les jeux non virtuels comme les jeux coopératifs, de société, d’extérieur

Augmenter la fréquence des activités en famille comme des jeux de société, des moments de discussion

Créer des moments pour sortir dehors

Organiser des activités sans écran

Instaurer des moments sans écran comme l’heure du souper, les files d’attente ou la routine du matin

Faire une banque d’activités avec l’enfant qu’il peut consulter lorsqu’il s’ennuie et, ainsi, prévenir qu’il se dirige directement vers un écran

Les 3 A:

  • Accompagnement
  • Alternance des activités
  • Autorégulation

Encourager l’enfant à recevoir ses amis à la maison, les visiter ou les voir au parc plutôt qu’en ligne

Aller à la bibliothèque pour que l’enfant obtienne de l’information dans les livres

S’abonner à une joujouthèque afin d’avoir accès à une variété de jeux

Montrer l’exemple à l’enfant en s’investissant dans des loisirs non virtuels.

Autorégulation

Par l’autorégulation, l’adulte s’assure d’ouvrir le dialogue avec l’enfant et de l’accompagner afin qu’il apprenne à se réguler par lui-même plutôt qu’à subir des limites imposées. L’enfant apprend donc à se contrôler plutôt qu’à être contrôlé.

Cette piste d’accompagnement représente un bon levier d’intervention pour responsabiliser l’enfant, développer son autonomie et développer son auto-observation.

Quelques pistes :

Intéressez-vous au contenu visionné par votre enfant dans une approche d’ouverture

Évitez les discours alarmistes ou moralisateurs sur l’utilisation des technologies. Ouvrez doucement la discussion en suscitant la réflexion.

Les 3 A:

  • Accompagnement
  • Alternance des activités
  • Autorégulation

Quelques pistes de discussion :

Quels sont les bénéfices des écrans?

Quels sont les effets négatifs des écrans?

Quels impacts positifs et négatifs observes-tu sur ton humeur?

Quels impacts positifs et négatifs observes-tu sur ton comportement?

Quels impacts positifs et négatifs observes-tu sur tes interactions avec les autres?

UNE PAUSE PLEINE CONSCIENCE

Pour se connecter au présent, à notre monde interne

Le discours social sur les écrans est souvent centré sur les enfants ainsi que les adolescents. Mais où se situent les adultes dans tout ça?

Comme les enfants et les adolescents, ils ne sont pas à l’abris de se laisser emporter dans le tourbillon des écrans, d’en faire une utilisation envahissante et d’en subir les impacts négatifs. D’ailleurs, pourquoi ne pas réfléchir à votre consommation des écrans avant de vous pencher sur celle de vos enfants?

Les écrans sont un moyen de divertissement et d’évitement très puissant. Ils permettent notamment l’évitement de l’ennui, mais aussi d’une vaste gamme d’émotions. Les écrans permettent la fuite émotionnelle:

Scroller les réseaux sociaux après une dure journée de travail

Scroller les réseaux sociaux après un conflit avec son conjoint

Regarder son cellulaire lors d’un souper entre amis pour éviter l’anxiété sociale

Regarder des vidéos pour fuir le moment présent

Cette stratégie adaptative peut être aidante lorsqu’elle est utilisée ponctuellement. Elle peut devenir problématique lorsqu’elle est utilisée de façon fréquente ou persistante par la personne.

Tentez de résister à l’envie de scroller pour vous reconnecter à votre monde interne. Tentez simplement de répondre à la question : comment je me sens présentement?

Les occasions de se reconnecter à soi et réduire le temps d’écran sont nombreuses :

Éviter de prendre son téléphone au réveil

Fermer la télévision au déjeuner

Discuter avec des collègues pendant la pause

Faire un jeu ou ouvrir une discussion au dîner

Regarder autour de soi pendant une attente (p.ex. file d’attente)

Discuter avec la serveuse au café

Prendre un livre ou un magazine plutôt que son cellulaire

Sourire aux passants dans la rue

Saluer les gens dans les transports en commun

Observer les gens dans les lieux publics

Observer la nature lorsque vous êtes à l’extérieur

Poser l’attention sur un élément à analyser

Cultiver des loisirs comme des sports, de l’artisanat ou des passe-temps

Fermer les écrans au souper

Écouter de la musique en portant attention aux paroles

Manger avec vos proches en discutant

Faire un jeu de société au souper

Porter attention à sa respiration

Porter attention aux sensations dans le corps

Porter attention aux sons dans l’environnement

DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE…

Le doomscrolling

Dès l’avènement de la radio, des questionnements ont émergé quant à l’impact des médias sur la santé psychologique. Depuis, de nombreuses études ont investigué ce lien. Certaines ont démontré un lien entre une surexposition aux médias et une augmentation de l’anxiété observée par une peur incontrôlée, un sommeil perturbé, des pensées effrayantes, une détresse psychologique et une hyperactivation physiologique. D’autres études ont quant à elle observé un lien avec la dépression, l’incertitude et l’épuisement.

L’action de faire défiler des images négatives ou dites « de malheur » est maintenant désignée comme étant du doomscrolling. Ce terme désigne le fait de passer un temps excessif sur le fil d’actualité des médias sociaux comme Facebook ou Twitter.
Des experts ont observé une augmentation, pouvant aller jusqu’à 47%, des recherches de nouvelles catastrophiques pendant la pandémie du Covid-19. Ils expliquent ce phénomène comme étant un mécanisme adaptatif. L’incertitude étant inconfortable et anxiogène, l’humain déploie des stratégies pour combler cette incertitude. La quête d’informations peut exercer cette fonction.

Faire des recherches sur un sujet anxiogène et incertain offre en effet une impression de contrôle à l’individu. Bien qu’il soit illusoire, ce contrôle peut s’avérer sécurisant à court terme. Or, le besoin de sécurité ou de certitude n’est jamais assouvi en raison de l’évolution constante des nouvelles et du caractère incontrôlable de certains événements.
Certains comparent le comportement à une compulsion qui apaise l’anxiété momentanément, mais la nourrit. La personne regarde de plus en plus de nouvelles et s’avère de plus en plus inquiète. Elle peut éprouver de la difficulté à s’arrêter, voire ressentir une incapacité s’arrêter. À long terme, le doomscrolling peut entraîner un sentiment d’épuisement psychologique, voire contribuer à des troubles psychologiques.

Steven Stosny, un psychologue américain, a d’ailleurs introduit le concept de trouble anxieux lié aux médias et aux gros titres. Bien qu’il ne soit pas reconnu dans le manuel diagnostic des troubles mentaux, ce psychologue le décrit comme étant une réponse émotionnelle élevée avec stress et anxiété aux reportages dans les médias d’information. La personne ressent alors une symptomatologie anxieuse lors de l’exposition à l’information médiatique.

Des pistes d’action pour freiner le doomscrolling :

  1. Consulter les réseaux sociaux avec une intention (par exemple, regarder les photos de fête de mon amie sur Instagram)
  2. S’imposer une limite de temps de consultation des réseaux sociaux
  3. Prendre conscience de ses états internes et ses émotions

En prenant conscience de ses sensations physiologiques et de ses émotions, la personne peut déployer un mécanisme adaptatif plus adapté pour répondre à ses besoins. Par exemple, une personne inquiète par rapport à une catastrophe naturelle pourrait se porter bénévole pour réparer les bris ou nettoyer les dégâts. Elle répondrait alors à son besoin de contrôle. En prenant davantage conscience de ses émotions, la personne peut freiner son impulsion de consulter les mauvaises nouvelles et apprendre à vivre avec l’incertitude.

Si vous vous questionnez quant à votre usage des technologies ou observez des signes de détresse liée aux médias sociaux, des professionnels peuvent vous soutenir. Vous pouvez d’ailleurs communiquer avec nous via info@hominum.com.

RÉFÉRENCES

Anand N, Sharma MK, Thakur PC, et al. Doomsurfing and doomscrolling mediates psychological distress in COVID19 lockdown: Implications for awareness of cognitive biases. Perspect Psychiatr Care. 2021;1–3. https://doi.org/10.1111/ppc.12803

Institut national de santé publique. (2020). L’utilisation des écrans en contexte de pandémie de COVID-19: quelques pistes d’encadrement. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/covid/3015-utilisation-ecrans-pistes-encadrement- covid19.pdf

Michel,G. (2022, mai). Fanny, malade des médias. Cas clinique. Cerveau & psychologie (144).

Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2020). L’utilisation des écrans et la santé des jeunes : réflexions issues d’un forum d’experts. Repéré à https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2019/19-289-12W.pdf

Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2022). Stratégie québécoise sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes 2022-2025. Repéré à https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2021/21-289-03W.pdf

Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec. (2021). L’évolution des technologies de l’information et des communications et la pratique des psychoéducateurs. La pratique en mouvement, numéro 21.

Pause ton écran :https://pausetonecran.com/comment-encadrer-lutilisation-des-ecrans/ Soucy, Isabelle. (2021). Calme au coeur du chaos. Les Éditions de l’Homme.
Tisseron. (2013). 3-6-9-12 Apprivoiser les écran. FR: Toulouse. Erès

Wu, J. (2020). Doomscrolling is a Global Pastime: How can you stop? Repéré à https://www.psychologytoday.com/intl/blog/the-savvy-psychologist/202009/doomscrolling-is- global-pastime-how-can-you-stop

 

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