L’AUTOMUTILATION
Par Laurence Lavallée, M.Sc. Psychoéducatrice
L’automutilation non-suicidaire est un acte qui effraie et inquiète. Rares sont les discussions entourant cet enjeu entre les enfants et leurs parents de même que sur la place publique. L’objectif de cet article est donc de démystifier l’automutilation, qui s’avère être une pratique assez rare à l’âge adulte, mais courante à l’adolescence.
En effet, les automutilations non-suicidaires seraient connues chez 21% à 42% des adolescents en comparaison à 2% à 4% chez les adultes.
UNE DÉFINITION
L’automutilation se définit comme un acte auto-infligé qui provoque des douleurs corporelles ou des lésions superficielles et qui n’a pas pour but de causer la mort. L’acte est également réprimé par le groupe de pairs. Il ne s’inscrit donc pas dans des rituels ou des rites de passage acceptés par le groupe (p.ex. tatouage, piercing, brûlure ritualisée).
Tandis que l’automutilation est souvent associée aux coupures, il est important de garder en tête qu’elle peut prendre diverses formes. Une personne peut également employer plusieurs méthodes pour s’infliger des douleurs. Des exemples :
Se lacérer la peau
Se brûler
Se piquer avec une aiguille
Se mordre
Se frapper
S’empoisonner
Se tirer les cheveux
Porter des vêtements très serrés qui coupent la circulation sanguine
Se brûler avec des aliments très piquants à répétition
Se brûler avec des aliments chauds
Couper sa respiration à l’aide d’un objet (p.ex. une ceinture)
Un geste qui comporte des risques pour la santé physique (p.ex. entailles) ne doit donc pas être compris comme étant plus grave qu’un geste qui entraînerait moins de risque (p.ex. se tirer les cheveux).
La nature et les impacts du geste sont donc à dissocier de la souffrance vécue par la personne.
Certains auteurs s’entendent cependant pour dire que la localisation des blessures sur le corps mérite davantage d’attention. Des blessures au visage ou aux parties génitales seraient une attaque plus sévère au corps, à la personne en elle-même.
LES FONCTIONS
L’automutilation est comprise comme une stratégie d’adaptation pouvant exercer plusieurs fonctions :
Décharger des émotions vécues comme désagréables et intolérables
Composer avec des pensées pénibles
Décharger les tensions qui ne peuvent être exprimées par le langage
Reprendre un contrôle sur la souffrance
Se punir ou se purifier
Communiquer sa détresse
Retourner la colère dirigée contre autrui vers soi
Les entames corporelles peuvent servir de prise de contrôle. À défaut de contrôler un environnement qui la fait souffrir, la personne modifie son corps. Elle reprend le contrôle sur elle-même tandis qu’elle perçoit subir un environnement sur lequel elle ne peut exercer de contrôle.
Une autre forme d’automutilation, appelée le marquage, peut servir à être vue. Ce type d’entames corporelles est destiné à être vu par l’environnement tandis que l’automutilation non-suicidaire demeure cachée. Le marquage peut servir de signe d’affirmation, d’intégration et d’affiliation. C’est dans ce type de pratique que l’on observe l’adolescent qui partage des vidéos de ses blessures ou bien affiche ses avant-bras entaillés. Le marquage reflète néanmoins toujours la souffrance de la personne qui l’exerce.
Dans tous les cas, l’automutilation est associée à une souffrance psychologique à laquelle il importe de s’attarder. Le sens donné à la pratique ne peut être saisi qu’à travers la compréhension de la trajectoire de vie de la personne qui l’exerce. Il est donc important de faire preuve d’ouverture et de compréhension envers la personne qui s’inflige des entames corporelles.
LES IMPACTS
L’automutilation est comprise comme une stratégie d’adaptation pouvant exercer plusieurs fonctions :
D’un point de vue psychologique, les entames corporelles peuvent servir à transférer la douleur psychologique abstraite et diffuse vers un endroit visible et contrôlable. La souffrance devient alors concrète et légitime pour la personne qui la ressent. Le caractère insoutenable ou invalide de la souffrance psychologique est donc diminué par l’activité concrète qui la rend matérielle, tangible. Des auteurs, Fournier et Malchair, proposent une expression pour mieux saisir ce principe :
D’autres impacts négatifs sont aussi souvent connus :
Augmentation de la détresse
Sentiment de honte et de culpabilité
Baisse de l’estime de soi
Infections
Cicatrices permanentes
Blessures profondes et permanentes aux tissus
Mort accidentelle
LES FACTEURS DE RISQUE
Il n’y a aucune cause unique à l’automutilation. Il s’agit d’un phénomène individuel influencé par différents facteurs de risque :
Relations difficiles avec les pairs ou la famille
Problèmes vécus à l’école ou au travail
Problèmes liés à l’homophobie ou au racisme
Sentiment de solitude et d’isolement
Anxiété, colère ou dépression
Antécédents de violence ou de traumatismes
Antécédents familiaux d’automutilation
Chaque personne possède sa propre histoire qui l’a amenée à envisager l’entame comme une stratégie pour faire face à ses souffrances.
DES SIGNES À OBSERVER ET DES PISTES À ENGAGER
L’automutilation demeure le plus souvent exercée en secret à travers un rituel intime. Les proches de la personne peuvent ne pas se douter qu’elle se blesse en secret. Différents indices peuvent toutefois servir de guide pour dépister l’automutilation :
L’adolescent porte de longs vêtements peu importe la température.
L’adolescent a plusieurs blessures difficilement explicables.
L’adolescent garde des objets coupant à proximité.
Des rasoirs ou couteaux disparaissent dans la maison.
L’adolescent présente une instabilité émotionnelle.
L’adolescent est impulsif ou imprévisible.
L’adolescent mentionne se sentir seul, sans espoir ou sans valeur.
Des changements de comportements sont observés.
L’adolescent s’isole.
Tu me sembles triste ces temps-ci. Je suis là si tu veux qu’on en parle.
Je suis inquiet ; j’ai observé que des rasoirs disparaissent dans la salle de bain. Est-ce que ça t’arrive de te blesser ?
J’ai l’impression que ça ne va pas ces temps-ci. Je te sens plus distante et tu portes des longs vêtements. Je suis là pour en parler.
Je m’inquiète pour toi. Je vois souvent des bleus sur tes jambes. Tu me dis que tu tombes, mais je suis inquiète que tu te blesses. J’aimerais qu’on s’en parle.
L’autre jour, j’ai observé des cicatrices sur tes poignets. Est-ce que c’est toi qui t’as infligé ces blessures ?
Tu me sembles triste ces temps-ci. Je suis là si tu veux qu’on en parle.
Punir la personne (p.ex. je t’enlève ton téléphone)
Imposer un interdit (p.ex. tu n’as plus le droit de faire ça chez moi)
L’obliger à vous parler (p.ex. tu n’as pas ton téléphone tant que tu ne m’as pas tout dit)
Chercher un coupable (p.ex. c’est la faute de ton ami, c’est ça ?)
Ridiculiser ou diminuer la personne (p.ex. bon, encore des petites crisettes d’ado)
Prêter des intentions (p.ex. tu veux de l’attention, c’est ça ?)
Ignorer le comportement
DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE
En tant que clinicien, il est primordial de faire une évaluation du risque suicidaire d’une personne qui s’auto-mutile. En effet, les personnes qui pratiquent l’entame corporelle sont plus à risque de faire une tentative de suicide ou de mourir par suicide de façon intentionnelle ou accidentelle.
Plus une personne exerce un geste, plus elle se familiarise avec ce dernier. Le geste peut donc devenir banal. Or, une personne qui exerce un geste qui la rapproche de la mort se familiarise avec l’idée de la mort. Cette dernière peut, par le fait même, devenir de plus en plus banale. La personne devient également à risque d’intensifier son comportement. Elle devient donc de plus en plus à risque de commettre un geste d’intensité sévère duquel pourrait découler des impacts sévères, allant jusqu’à la mort.
Une évaluation exhaustive des méthodes d’automutilation employées ainsi que de la fréquence et de l’intensité des gestes est donc de mise. Une évaluation de la fonction du comportement est également nécessaire afin de comprendre ce dernier et identifier une stratégie de remplacement plus adaptée à enseigner.
Du côté de l’intervention, le développement des stratégies d’adaptation, des habiletés de communication ainsi que de la capacité à faire face au stress seraient les trois principaux piliers à investir. Une éducation psychologique sur l’automutilation est également à entreprendre avec la personne afin qu’elle comprenne la fonction de son comportement de même que sa séquence d’action.
Présence d’un ou plusieurs déclencheurs entraînant un malaise croissant
Une incapacité à résoudre le problème ou à moduler l’émotion par des moyens psychologiques.
Un besoin irrépressible de se faire mal.
Une connexion entre le malaise et la blessure comme remède.
L’action de se blesser suivie d’un apaisement de la douleur.
Les ANS sont pratiquées pendant au moins 5 jours dans une année.
La personne qui exerce les ANS entretient une attente selon laquelle l’ANS (1) résoudra un problème interpersonnel, (2) soulagera les pensées ou les émotions désagréables, ou (3) induira un état émotionnel positif.
La personne expérimente au moins 1 condition parmi : (1) problèmes interpersonnels, ou pensées/émotions négatives immédiatement avant l’ANS, (2) préoccupations difficiles à gérer à l’égard des ANS, et (3) pensées fréquentes d’ANS.
L’ANS n’est pas acceptée par la société, ni limitée à des comportements mineurs d’automutilation.
Présence d’une détresse significative liée à l’ANS ou interférence dans différents domaines de fonctionnement.
L’ANS ne survient pas exclusivement dans un contexte de psychose, de délire ou de la consommation/sevrage de substances. L’ANS n’est pas mieux expliquée par un autre trouble psychiatrique ou une affection médicale.
Des degrés de sévérité accompagnent le diagnostic :
Faible : 10 épisodes et moins et 1 méthode d’ANS
Modéré : 11 à 50 épisodes et 2 ou 3 méthodes d’ANS
Sévère : 50 épisodes et plus ainsi que plus de 3 méthodes d’ANS
Si vous présentez des idéations suicidaires ou vous inquiétez pour un proche, vous pouvez joindre le Centre de prévention du suicide de votre région au 1-866-277-3553.
RÉFÉRENCES
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