LA DÉPRESSION POST-PARTUM
Par Laurence Lavallée, M.Sc. Psychoéducatrice
Les périodes pré-péri et post-partum sont vécues de façon très individuelle par les nouveaux parents. Pour certains, ces périodes se vivent sans trop d’accrocs tandis qu’elles sont parsemées de petits, de moyens et de grands défis pour d’autres. Elles peuvent également être vécues différemment à l’intérieur même du couple parental. Elles représentent certainement des périodes d’adaptation et de vulnérabilité.
Quelques jours après un accouchement, il est normal de ressentir une vague d’anxiété, de la tristesse ou des difficultés de sommeil. Les variations dans les taux d’hormones, notamment la progestérone, tendent à expliquer ce baby blues. Chez des nouveaux parents, ces symptômes persistent dans le temps, voire commencent avant la naissance de l’enfant. Ils peuvent se développer en des formes plus sévères et s’inscrire dans ce qu’on appelle la dépression post-partum. L’objectif de cet article est de démystifier ce trouble encore malheureusement trop méconnu.
QU’EST-CE QUE LA DÉPRESSION POST-PARTUM ?
La dépression post-partum se définit comme un épisode dépressif qui se vit pendant la grossesse ou pendant les quatre mois suivant l’accouchement. Elle est observée par différentes manifestations qui s’échelonnent sur une période de plus de deux semaines :
- Humeur dépressive
- Perte d’intérêt ou de plaisir pour les activités
- Perte ou gain de poids significatif
- Insomnie ou hypersomnie
- Agitation ou ralentissement psychomoteur
- Fatigue ou perte d’énergie
- Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive
- Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision
- Pensées suicidaires.
Ces symptômes correspondent à ceux de la dépression majeure. Quelles sont donc les spécificités en contexte de post-partum ?
Étant mieux connue chez la femme, les études portant sur la dépression post-partum s’intéressent davantage à l’impact du trouble sur l’interaction mère-enfant. Davantage d’études étudiant le rôle de donneur de soin ou de parent de façon globale seraient maintenant nécessaires dans un contexte où le modèle de famille dite traditionnelle est déconstruit. On peut néanmoins relever des recherches que la dépression, en contexte post-partum, entraîne généralement des impacts négatifs sur l’interaction parent-enfant.
Les études révèlent des impacts de la dépression sur la capacité de la mère à prendre soin de son enfant, notamment à répondre à ses besoins alimentaires, mais aussi affectifs. Elle pourrait ressentir un certain détachement face à son enfant, caractérisé par des sentiments d’inutilité ou d’incapacité. Les mères qui vivent un tel type de dépression seraient également plus anxieuses, particulière par rapport à la santé de leur enfant. Certaines développeraient des obsessions d’impulsion, soit des pensées dans lesquelles elles pourraient blesser leur bébé.
Au-delà de l’impact sur l’enfant, la dépression post-partum entraînerait des impacts négatifs sur sept domaines de vie de la mère :
- Fonctionnement physique
- Douleur physique
- Santé générale
- Fonctionnement social
- Bien-être émotionnel
- Limitations des rôles sociaux
- Vitalité
Chez le père, on retrouverait davantage du retrait social, de l’indécision, de la peur, des attaques de panique, de la rigidité, de la consommation de substances, des conflits conjugaux ainsi que de la violence envers la conjointe.
LA DÉPRESSION POST-PARTUM EST-ELLE FRÉQUENTE ?
La dépression post-partum est encore trop peu abordée dans l’espace public. Or, elle toucherait 17,5% des femmes au Canada; les données concernant les hommes s’élèveraient à 10,4%. Tandis qu’elle est fréquente, elle est souvent cachée, voire tabou. Mais pourquoi dont ? Certains auteurs attribuent cette réticence des femmes à aborder les difficultés associées à la maternité par la perception d’un écart entre leur vécu individuel et l’idéalisation du rôle de mère qui est associé au bonheur.
Une « bonne mère » devrait être comblée de bonheur et réprimer les émotions désagréables.
Cette idéalisation de la maternité pourrait donc contribuer au sentiment de culpabilité des mères face aux émotions désagréables vécues en lien avec leur rôle. Beaucoup de pression est mise sur les mères par rapport au développement du lien d’attachement avec leur enfant : « Tu vas voir, tu auras un coup de foudre dès que tu le prendras dans tes bras. » Toutes les femmes ne vivent pas l’accouchement et la rencontre avec leur bébé de cette façon et c’est tout à fait normal. Socialement, peu d’espace est néanmoins laissé à ce type de vécu. Le lien d’attachement se développe entre le parent et l’enfant au fil de leur rencontre mutuelle. L’idéalisation de la maternité et de l’amour fulgurant du parent envers son enfant dès leur rencontre peuvent mettre beaucoup de pression chez la mère.
Les nouveaux parents peuvent également avoir tendance entretenir la pensée que la naissance de l’enfant entraîne le statut de parent du jour au lendemain. Il s’agit toutefois d’un apprentissage, d’un processus, qui s’échelonne sur une période variable tout dépendant des individus. Chez certains adultes, les tâches liés à la parentalité peuvent sembler plus naturelles que pour d’autres. C’est normal et cela ne fait pas d’eux de moins bons parents. Ils peuvent toutefois ressentir une culpabilité face à leurs difficultés.
Ceci pris en compte, les femmes auraient peu tendance à s’ouvrir par rapport à leur détresse. Il serait alors difficile pour les professionnels de dépister leurs difficultés puisque leurs verbalisations seraient davantage associées au travail, à la vie sociale, à leur partenaire ou à leur enfant.
Des exemples :
Je ressens une pression de retourner un travail. Je ne sais pas si nous allons y arriver financièrement.
Je vois moins mes amis. Je me sens cloîtrée à la maison.
Ma vie sexuelle est affectée. Mon partenaire me met une pression, mais je n’aime pas mon corps.
Mon enfant dort peu et pleure beaucoup. Je le trouve « difficile ».
Derrière ces verbalisations peut se cacher une détresse individuelle du parent. Il est donc important de questionner le parent sur son vécu individuel et normaliser la détresse. Par exemple :
- C’est difficile d’accueillir un bébé dans sa famille. C’est normal de se demander ce qu’on a fait parfois… Est-ce que ça t’arrive ?
- Tu me parles beaucoup de ton bébé et de ses défis… Et toi, comment te portes-tu ? Je te sens épuisé.e
- J’ai l’impression que tu es submergé.e par tout ce qui se passe. Comment est-ce que je peux t’aider ?
Lorsqu’on fait face à une personne en détresse, on peut avoir tendance à vouloir l’encourager
- Tu vas voir, les premiers temps c’est pire, mais après ça va mieux,
- On passe tous par-là, t’es capable.
Ce type de discours peut invalider les émotions de la personne qui les ressent. Lui demander ce dont elle a besoin peut la faire se sentir comprise :
- J’aimerais te soutenir, qu’est-ce qui te ferait du bien ?
- Je comprends ta détresse. Comment puis-je te soutenir ?
QUE FAIRE EN PRÉSENCE DE SYMPTÔMES ?
La dépression post-partum, contrairement au baby blues qu’on retrouve généralement dans les premiers jours de vie de l’enfant, nécessite typiquement un soutien professionnel.
En parler à son médecin ou à l’infirmier.ère du centre intégré de santé et de services sociaux est donc important. Une demande à un service psychosocial, tel que la psychoéducation, peut également être engagé par les nouveaux parents, et ce, sans référence médicale.
Lorsque non traitée, la dépression peut durer dans le temps et affecter négativement le parent comme sa relation avec son enfant. Les recherches tendent d’ailleurs à démontrer que plus la dépression est détectée et traitée tôt, plus le traitement se montre efficace.
John Bowlby, le père de l’attachement, a dit « ce que l’on considère essentiel pour la santé mentale d’un enfant c’est que, bébé et jeune enfant, il puisse faire l’expérience d’une relation continue avec sa mère (ou la mère substitut permanente), qui soit chaleureuse et intime et dans laquelle les deux trouvent satisfaction et plaisir ».
Le dernier élément est essentiel. Il est important que la figure de soin porte attention à son plaisir et sa satisfaction dans la relation. L’absence de plaisir ou d’intérêt dans la relation avec l’enfant représente un signe que la figure de soin doit prendre soin d’elle et, au besoin, consulter un professionnel.
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